Université de Franche-Comté

La technique du Lidar fait faire des pas de géant aux archéologues

Le laser aéroporté, par ses capacités d’exploration non invasive des sols, séduit les archéologues bisontins de l’université de Franche-Comté et du CNRS, qui figurent parmi les plus en pointe pour le traitement des données issues de cette méthode. Le projet Lieppec — Lidar pour l’étude des paysages passés et contemporains — expérimente plusieurs techniques d’analyse, autour de Mandeure – Mathay (25) et de la forêt de Chailluz (Besançon). Si les archéologues ont une longueur d’avance, l’exploitation des données franc-comtoises commence également à se développer dans d’autres disciplines.

 

 

Le Lidar (pour Light detection and ranging, ou « laser aéroporté »), est une technique de télédétection active mise au point par l’armée américaine dans les années 1970. Elle consiste à embarquer, à bord d’un avion, un laser émettant des impulsions lumineuses à hautes fréquences. Le rayon lumineux balaie le sol et le système enregistre le temps de retour, comme pour un radar ou un télémètre. « Le gros avantage de ce faisceau est qu’une partie est réfléchie par le sommet de la végétation, alors qu’une autre peut continuer sa course et pénétrer le couvert forestier jusqu’à heurter le sol », explique Laure Nuninger, chercheuse au CNRS.

 

 

Ôter la couverture végétale

Le résultat de l’acquisition se présente sous la forme d’un nuage de points permettant la production de modèles numériques d’élévation très précis, puisqu’un GPS embarqué et un autre au sol, ainsi qu’une unité de mesure inertielle, ont permis de corriger la position exacte de l’avion et de ses mouvements (roulis et tangages). Le résultat peut présenter la finesse d’une image aérienne ou satellite submétrique, avec, en bonus, une précision centimétrique du relief en surface ou au sol, que le territoire soit ou non couvert par la forêt.

 

Depuis 2004, des chercheurs français et slovènes travaillent ensemble sur la modélisation des paysages et des territoires. Cette collaboration a abouti en 2007 à la création d’un laboratoire européen associé (LEA), baptisé ModeLTER et porté par la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement Claude Nicolas Ledoux et par l’Académie slovène des sciences et des arts.

 

Un premier projet de recherche utilisant la technologie Lidar avait été lancé en 2006, impliquant le laboratoire Chrono-environnement et ModeLTER. Baptisé Lidor, il portait sur l’étude de la plaine littorale située entre Nîmes et Montpellier et avait permis de mettre en évidence des modes d’occupation du sol et d’aménagement du paysage depuis l’âge du fer. « Le Lidar apporte une information microtopographique. On a ainsi retrouvé le cours naturel de petits cours d’eau canalisés depuis le Moyen-Âge, voire l’Antiquité, ou le tracé exact d’anciennes voies de même époque surélevées de 20 cm seulement dans un paysage totalement plan ». Lieppec, second projet de plus grande ampleur, associant en outre le laboratoire ThéMA, a démarré en 2009. L’acquisition, financée intégralement par la Région Franche-Comté, concerne une zone de 140 km2 autour de Besançon et une autre de 80 km2 autour de Mandeure – Mathay. « Ce qui nous intéresse, nous, les archéologues, c’est de comprendre comment est géré l’espace dans la très longue durée, pourquoi les hommes se sont installés là, ont aménagé des structures, les ont développées ou abandonnées ».

 

 

Des algorithmes spécifiques à l’archéologie

Une société spécialisée dans l’acquisition de ce type de données a effectué son vol, selon des paramètres définis par les chercheurs, et restitué l’information sous la forme d’un tableau de données brutes (coordonnées X, Y et Z, intensité et numéro de retour) et d’un premier modèle numérique de terrain (MNT) avec un pas de 50 cm. « On voit les lignes électriques. Cela montre le niveau de précision », poursuit Laure Nuninger. « Cet apport technique constitue un gain de temps phénoménal par rapport à un simple relevé topographique ». Mais l’équipe du LEA ModeLTER développe ses propres MNT et MNS — modèle numérique de surface —, spécifiquement adaptés aux questionnements archéologiques. Ils vont plus loin en expérimentant maintenant différents filtrages et traitements du MNT lui-même, combinant plusieurs types de données afin d’extraire le maximum d’informations de ces acquisitions. Des méthodes de visualisation, un travail d’ombrage, le calcul d’un indice de visibilité Sky view Factor développé par les géodésistes du LEA et mis en œuvre par les archéologues, permettent de détecter des microstructures topographiques comme les fours à chaux. « Les géodésistes slovènes ont l’expertise technique, nous thématique. En se formant mutuellement, on expérimente, ce qui fait progresser les méthodologies utiles à d’autres disciplines. Néanmoins, il ne faut jamais perdre de vue que ces traitements restent des modèles. S’ils permettent de gagner du temps dans la phase de prospection, ils ne peuvent pas faire l’économie d’un retour sur le terrain pour être validés et les structures datées ».

 

 

La chercheuse est persuadée que d’autres disciplines se laisseront séduire par les possibilités du Lidar. Une doctorante en médecine a déjà contribué au développement du MNS pour un travail en épidémiologie ; géographes et médecins vont l’utiliser pour élaborer des cartes de pollution par le bruit ; les forestiers de l’ONF, qui ont déjà travaillé en Lorraine avec une archéologue du laboratoire, souhaitent pouvoir transférer ces mêmes approches sur la forêt de Chailluz.

 

 

À Mandeure et Chailluz, des centaines de fours à chaux

 

Rattachés au programme Lieppec, deux gros projets de recherches archéologiques sont en cours à Mandeure et à Besançon. Une post-doctorante s’attache à traiter les données de ces deux zones en développant des outils spécifiques, tandis que deux doctorants interprètent, enregistrent et valident les données sur le terrain avec l’aide des services d’archéologie de la CAPM — Communauté d’agglomération du pays de Montbéliard — et de Besançon, financeurs, et d’une association de bénévoles, l’ARESAC, subventionnée par le ministère de la Culture. Ces travaux, en révélant l’information archéologique, ont permis d’identifier des tertres, de probables enclos protohistoriques ou des habitats antiques associés à du parcellaire, ainsi que des voies ayant disparu du paysage contemporain. Au nord-ouest de la forêt de Chailluz, une très grosse concentration de fours à chaux (plus de deux cents) recoupe plusieurs structures (parcellaire, enclos, tertres), tandis que l’on en repère un groupe de quelques-uns alignés le long d’un axe qui sort de l’agglomération antique de Mandeure. Ces vestiges sont en cours de datation au carbone 14. En les datant les uns par rapport aux autres, on pourra mieux appréhender les phases de développement, ou au contraire de déclin (réemploi de matériaux), des agglomérations antiques et de l’espace rural périphérique.

 

 

 

Forêt de Chailluz, bois de la Lave (25) - Télédétection par Lidar 

 

Forêt de Chailluz, bois de la Lave. C. Fruchart. Lieppec / MSHE C.N. Ledoux – ModeLTER

1 : zone avec des talus en pierres délimitant des parcelles. 2 : enclos contenant probablement un habitat, recoupé par un fossé en place à la fin du XVIIe s. 3 : four à chaux associé à une carrière. 4 : partie d’un fossé faisant office de limite entre deux communes, établi au moins depuis la fin du XVIIes. 5 : pierriers résultant vraisemblablement d’épierrements agricoles. 6 : partie d’un chemin actuel. 7  : doline. 8 : plate-forme de charbonnier.

 

 

Contact : Laure Nuninger

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 51 20

 

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