Université de Franche-Comté

La singulière histoire d’un village comtois à la Renaissance Les pierres racontent encore…

En 1638, la Franche-Comté, totalement dévastée par la guerre de Trente ans qui ravage l’Europe, n’est plus que ruines. Certaines habitations ont cependant échappé au massacre et sont des témoignages passionnants de la vie comtoise d’alors, qu’une recherche patiente et minutieuse met peu à peu à jour.

 

 

Lorsqu’il explore Aillevans, près de Villersexel (70), c’est un véritable village de la Renaissance daté d’avant la guerre de Trente ans que Paul Delsalle, chercheur au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, découvre enfin. Une immense satisfaction survenant après le repérage épisodique de quelques maisons, rescapées éparses du terrible conflit qui frappa la région en 1636. Les centaines de documents minutieusement traduits du vieux français prennent vie avec ces témoignages du passé jugés sur pièces et sur place. Les éléments se combinent pour donner une idée assez significative de la façon dont vivaient les Francs-Comtois à la Renaissance, et plus précisément avant la guerre de Trente ans, une période de l’histoire régionale que Paul Delsalle s’attache à faire connaître.

 

Dix-sept maisons datées de 1531 à 1628 ont été identifiées grâce aux millésimes gravés sur les linteaux, piliers ou cheminées en pierre. Elles représentent la moitié du village originel et indiquent de façon éloquente son organisation sur un territoire. Les bâtisses, très grandes, semblent avoir abrité différentes générations et parfois plusieurs familles occupant chacune un étage ou se partageant une moitié de cuisine ou de grange. Les documents d’archives donnent des informations précises corroborant cette hypothèse, comme le nombre de feux, nom sous lequel on répertoriait officiellement les familles, qui était bien supérieur au nombre de maisons. On sait ainsi à propos de l’une des habitations, qu’un certain Nicolas Tisserand possédait « le bas et l’estage desoubz » quand le « second estage de la cheminée » appartenait à son voisin Anthoine Dagueney…

 

À l’époque, le village dépendait à la fois de la seigneurie de Villersexel et du domaine royal. Nulle trace au village de château, de châtelain, de bailli ou autres notables. Le village entier était paysan, au sens large du terme : agriculteurs, mais aussi vignerons, artisans… 

 

 

Habitat de luxe pour village ordinaire 

Ce constat rend plus surprenants encore la qualité, voire le luxe des habitations. Certaines maisons sont flanquées de tours, sans aucune ambition défensive. Objets d’apparat, elles abritent des escaliers à vis desservant les étages. Les caves et les celliers ne se contentent pas d’être voûtés, mais s’enrichissent de piliers de soutien. Les charpentes sont en chêne, suffisamment massives pour supporter des toitures en lave. La présence de fenêtres de toit indique que les combles sont habités, une caractéristique de cette époque. De monumentales cheminées présentent encore leurs linteaux de deux à trois mètres de long au rez-de-chaussée comme à l’étage. Les fenêtres, parfois à meneaux, sont ornées d’accolades taillées dans la pierre. Ces symboles de luxe s’affichent comme un paradoxe dans ce village ordinaire et principalement peuplé d’habitants de mainmorte, dont la condition se rapproche de celle des serfs du Moyen Âge. « Les mainmortables devaient assurer pour le seigneur les corvées saisonnières : labours, semailles, fenaisons, moissons, vendanges… », explique Paul Delsalle. « Ils ne pouvaient transmettre leurs biens à leurs héritiers qu’à la condition expresse que ceux-ci vivent sous leur toit ». Cependant, les mainmortables et les sujets « francs », s’ils occupaient une position différente dans une société inégalitaire, possédaient les mêmes patrimoines. Ce type d’enseignement livré par l’étude de l’habitat est précieux, il enrichit et même bouscule les certitudes nées de l’exploitation de sources documentaires parfois parcellaires ou trop restrictives.

 

 

Fenêtre à accolades datant de l'époque Renaissance

 

Une région riche et prospère

Comment expliquer que des gens de statut aussi modeste aient bénéficié de logements aussi imposants ? Paul Delsalle raconte combien, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, la Franche-Comté était prospère et connaissait une forte activité rurale : agriculture, forges, construction de bâtiments, vignoble, forêt, artisanat… l’exploitation de nombreux domaines était favorisée par la paix régnant sur la région et donnait lieu à un commerce florissant. Les mainmortables possédaient maison, vergers, vigne et jusqu’à cinq hectares de terre. « À la même époque en France, on ne vit pas si bien », conclut l’historien.

 

La guerre de Trente ans fera basculer la région dans le chaos, et en quelques années la population passe de 415 000 à 200 000 habitants. Certains fuient vers d’autres contrées, d’autres sont des victimes directes de la guerre et plus encore de l’horreur de la peste. Lorsque la Franche-Comté se reconstruit, l’habitat se transforme complètement et donne naissance aux grosses fermes comtoises aujourd’hui encore typiques de la région.

 

 

 

Le village d'Aillevans (70)

 

Contact : Paul Delsalle

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 66 58 74

 

 

 

L'histoire des maisons comtoises, toile de fond d’un documentaire original sur la région

 

Les recherches de Paul Delsalle figurent en bonne place dans le documentaire de Fabien Ferreri, dont la réalisation a été achevée en décembre 2010, et la diffusion prévue dans les prochaines semaines sur France 3. En 52 minutes, le film n’a pas la prétention de faire le tour de la Franche-Comté, mais s’appuie sur le patrimoine architectural et surtout sur les hommes pour aborder la région sous un angle original. Partant de son histoire pour mieux comprendre son territoire, et de son patrimoine afin de savoir pourquoi et comment le protéger, il interroge sur la transmission de la connaissance de la Franche-Comté avec, en filigrane, des propositions pour vivre ensemble demain. « Il a fallu environ un an pour faire ce film, un laps de temps bien trop court pour cerner une région lorsqu’on y est de passage, commente Fabien Ferreri. C’est par l’intermédiaire de gens qui la connaissent bien que nous avons réussi à monter un documentaire permettant de venir à sa rencontre de façon inédite, loin des clichés habituels ». Une recette déjà éprouvée avec la sortie d’un premier documentaire dans la collection « Des pays, des maisons et des hommes » consacré à la Bourgogne en 2009.

 

Des pays, des maisons et des hommes en Franche-Comté, un film de Fabien Ferreri, produit par Les films dans la lune et France Télévision – Pôle France 3 Franche-Comté.

 

Avec le soutien de la Fondation du patrimoine, de la Fédération régionale du bâtiment de Franche-Comté, de l'association Maisons paysannes de France, du Département du Doubs, du Département du Territoire de Belfort et du Centre national de la cinématographie.

 

 

Contact : contact@les-films-dans-la-lune.eu

www.les-films-dans-la-lune.eu

 

 

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