Université de Franche-Comté

Jeter, trier, réparer… le paradoxe chinois

Des millions de smartphone sont remis à neuf à Shenzhen avant d’être distribués en Chine ou exportés vers des pays au faible pouvoir d’achat, en Afrique, Asie du Sud, Asie du Sud-Est et Moyen-Orient © Yann Schulz

Où vont nos smartphones démodés, nos climatiseurs à bout de souffle et nos machines à laver éreintées ? Depuis 20 ans, les discours véhiculés notamment par les médias occidentaux insistent sur le fait que les pays riches, des États-Unis à la Corée, de l’Europe de l’Ouest à Singapour, envoient leurs déchets vers les régions pauvres du globe. Un dumping environnemental qui ferait de la Chine « la poubelle du monde ». Dans la thèse en ethnologie qu’il a soutenue cette année à l’université de Neuchâtel, Yvan Schulz apporte un regard critique sur ces discours ; il explore un phénomène qui l’a conduit à mener des investigations pendant deux ans dans le sud de la Chine. « Nous envisageons les appareils électriques et électroniques usagés ou endommagés principalement sous l’angle du déchet, d’où l’expression consacrée e-déchets, ou e-waste. C’est méconnaître une autre réalité : bon nombre de ces appareils sont réparés ou recyclés sur place, devenant ainsi une marchandise et un moyen de subsistance pour des milliers de Chinois. »

Les pratiques de réutilisation, largement répandues, se sont développées en marge de la politique étatique, qui, depuis les années 2000, favorise le recyclage des appareils dans de grandes usines chargées de récupérer uniquement les matériaux. « Or les ateliers de réparation et les réseaux de revente évitent le gaspillage et donnent aux foyers les plus démunis, en Chine ou ailleurs, la possibilité d’acquérir ou de conserver des équipements à faible coût. » La thèse d’Yvan Schulz met en évidence un paradoxe criant de la politique environnementale chinoise, accordant sa préférence à un système de recyclage prétendument vert, mais en réalité souvent polluant, et niant voire décourageant des pratiques de réutilisation qui vont davantage dans le sens de la préservation de l’environnement… mais pas dans celui de la consommation de masse et de la logique productiviste d’un pays en plein essor.

La Chine est aujourd’hui considérée comme « l’usine du monde », en raison de la forte croissance des activités industrielles sur son sol ; le pays a également vécu un boom économique sans précédent et l’avènement du consumérisme. Autant d’arguments obligeant à considérer la question de la gestion des rebuts électriques et électroniques. « La Chine est en passe de devenir le premier pays générateur d’e-déchets au monde. Les quantités d’appareils dont se défont les Chinois ont depuis bien longtemps dépassé celles que les commerçants importent. À quand des exportations d’e-déchets de la Chine vers l’étranger ? Fortement sensibilisé par cette problématique, Yvan Schulz poursuit actuellement ses recherches au China Centre de l’université d’Oxford, où il effectue un post-doctorat sur ce sujet pendant deux ans.

Contact(s) : Institut d’ethnologie
Université de Neuchâtel
Yvan Schulz
Tél. +41 (0)32 718 17 10
yvan.schulz[at]unine.ch
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