Réduire les temps de production pour être au plus près de la demande des clients tout en leur proposant une offre diversifiée… voilà qui s’apparente à la double contrainte des psychologues : comment répondre à deux injonctions contradictoires ? Une première qui nécessite une organisation de la chaîne de production… où la fabrication d’un seul produit assure des conditions optimums. La seconde, qui exige diversité des produits et donc agit sur l’organisation de la chaîne de production en réduisant invariablement la rapidité d’exécution.

La différenciation retardée peut résoudre la quadrature du cercle. Que cache-t-elle ? L’idée d’attendre le dernier moment pour différencier les produits, quasiment à la sortie de chaîne. Ceci implique de concevoir des éléments de base qui soient au maximum génériques. Ainsi, ils gardent le plus longtemps possible leur flexibilité. Des exemples ultimes peuvent être trouvés dans l’agroalimentaire, où entre une production « grande surface » et une production « hard discount », la différenciation se fait au niveau de la pose de l’étiquette. Il s’agit véritablement d’une philosophie de conception des produits ou des process qui permet de retrouver une certaine optimisation des chaînes, même en cas de produits légèrement différents.

Faire émerger des contextes innovants ?

Un constructeur de lunettes, par exemple, peut choisir de définir ses gammes de modèles de telle sorte que la mise en forme et la décoration, et donc la personnalisation du produit, soient réalisées à la toute fin du processus. C’est d’ailleurs en ce sens qu’ALUTEC a interpellé l’Institut Pierre Vernier, pour qu’il initialise la notion de différenciation retardée avec un certain nombre d’industriels de son secteur.

Les avantages en terme de gestion des stocks sont évidents : en réduisant le nombre de références intermédiaires, les stocks et l’inventaire sont minimisés, la productivité et donc les coûts sont améliorés. De plus, le produit, tant qu’il n’est pas figé, peut être réaffecté à d’autres clients. Un produit peut répondre à plusieurs demandes puisque les éléments différenciateurs apparaissent en toute fin de production.

En contrepartie, la différenciation retardée induit de mettre en œuvre une logique toute particulière, que l’on veuille modifier une production existante (rétro-ingénierie), ou développer une gamme nouvelle dans cet esprit, les techniques de fabrication et de production étant assez radicalement différentes.

Brider l’imagination ?

La spécialisation progressive — et si possible en dernier lieu — des éléments à assembler implique de procéder à une classification de ces éléments par type, voire de les concevoir un peu différemment, pour finalement réduire au maximum le nombre de pièces différentes à stocker. Du même coup, il faut également prendre en compte le nombre de combinaisons possibles des sous-ensembles. Pour cela, on peut s’aider de différentes méthodes : fiches idées alimentées par des techniques de résolution telles que le brainstorming ou TRIZ, travail sur les produits finaux, les sous-ensembles et le process…, qui allègent et sécurisent le processus.

Malgré tout, a-t-on intérêt à mettre en œuvre la différenciation retardée ? Le risque majeur est finalement de brider le design, l’imagination, en standardisant à outrance les produits. D’un autre côté, certains défendent l’idée que les contraintes délient la créativité… À titre d’exemple, le travail mené avec ALUTEC a remis en cause les process, les technologies, et a fait émerger de nombreuses idées qui participent d’une vision à long terme sur l’évolution de la production de lunettes.