Université de Franche-Comté

Des nouvelles de Louis Pergaud et Marcel Aymé

Qu’évoquent Louis Pergaud et Marcel Aymé ? Les Francs-Comtois attachés à leur terre natale ou d’adoption, de surcroît sensibles à la beauté du verbe, auront sans doute à l’esprit l’âpre ruralité de La guerre des boutons et l’atmosphère fantastique de La Vouivre. Mais, au-delà des images dont s’est imprégnée la culture populaire collective, que connaît-on encore de leur littérature pittoresque et régionale ? Regards croisés et fugitifs sur des œuvres contemporaines majeures, à l’aune d’un genre particulièrement nourri par ces auteurs : la nouvelle.

 

 

« En ces temps-là, la Bourgogne était heureuse… et la Franche-Comté itou. Des coteaux d’Arbois, de Poligny et de Salins, descendait, chaque automne, avec les cuves pleines, le beau vin couleur peau d’oignon, jailli des grappes de poulsard, et les vignerons à rouge trogne bénissaient le Seigneur dont le bon soleil gorgeait de vin les pampres vigoureux et emplissaient leurs futailles ». Les premiers mots de La disparition mystérieuse (1) donnent le ton, le décor est planté, et le lecteur, spectateur impatient, s’y installe avec le plus grand naturel pour ne rien perdre des scènes qui vont se jouer devant lui. Louis Pergaud affirme d’emblée son extraordinaire maîtrise de la description, transporte le lecteur dans ses souvenirs de Franche-Comté, source d’inspiration fabuleuse où se mêlent les gens et les bêtes dans des récits hauts en couleurs et teintés de poésie. « C’était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants ». (2) 

 

La poésie se glisse aussi dans l’œuvre de Marcel Aymé et s’accompagne avec bonheur d’une touche de merveilleux et de pointes d’humour. « La fée Udine sortit du fleuve où elle était en pénitence depuis neuf cents ans. […] Cependant, elle secouait ses longs cheveux d’or, comme elles ont toutes, et tapotait sa robe de mousseline qui lui avait déjà bien fait de l’usage. Ses vêtements avaient gardé un peu d’humidité qui tomba en pluie comme une rosée de lune ». (3)

 

  

Jean Gabin et Bourvil dans

 

Jean Gabin et Bourvil dans La traversée de Paris, photo du film de Claude Autant-Lara, 1956

 

 

Marcel Aymé, né à Joigny dans l’Yonne en 1902, retourne à ses origines jurassiennes durant son enfance et effectue de nombreux séjours dans la région doloise. À sa disparition en 1967, il laisse une œuvre remarquable dont La table aux crevés, La jument verte, La Vouivre, (romans), Le puits aux images, La traversée de Paris, Le passe-muraille (nouvelles), La tête des autres, Les quatre vérités, Les oiseaux de lune (pièces de théâtre)…

 

 

 

 

Photo tirée du film

 

 Photo tirée du film La guerre des boutons, d'Yves Robert, 1962

 

 

Louis Pergaud, né à Belmont dans le Doubs en 1882, instituteur à Landresse dont il fait le théâtre de la célébrissime Guerre des boutons, disparaît à Verdun en 1915. L’Aube, L’herbe d’avril, De Goupil à Margot, La revanche du corbeau, Le roman de Miraut et Les Rustiques constituent le principal d’une œuvre qui, malheureusement fauchée comme son auteur en pleine gloire montante, n’a pu tenir ses promesses.

 

 

 

Dans l’œuvre de Louis Pergaud, trop courte d’avoir vu son auteur tomber sous le feu de la première guerre mondiale, comme dans celle de Marcel Aymé, foisonnante de romans, articles, nouvelles, contes, scénarios, pièces de théâtre, Yvon Houssais, enseignant-chercheur en lettres à l’université de Franche-Comté, remarque la richesse du récit, souligne la construction de l’intrigue. « Bien que très différents, Louis Pergaud et Marcel Aymé évoluent dans des univers très proches, marqués par le monde de l’enfance, évoquent la campagne franc-comtoise dans toute sa réalité, sans complaisance, mais avec une grande humanité ».

 

Récits savoureux, croquis plus vrais que nature brossent un véritable tableau du temps passé. Dans Le sermon difficile, Pergaud confesse les déboires du vieux curé de la paroisse. « Sans doute les gamins qu’il évangélisait n’usaient pas toujours entre eux et avec leurs camarades des villages voisins d’une politesse et d’une mansuétude qui rappelaient la vieille galanterie française et la charité chrétienne, ils s’engueulaient et se rossaient avec conviction et fréquemment ».(4) Marcel Aymé prête des répliques juteuses à Petit Doré, le bon élève contraint de s’opposer à la jalousie d’un camarade de classe. « Ça se peut que je sois rouquin. Ce qui est sûr, c’est que je suis le meilleur en dictée ; et quand tu sauras tes départements comme je sais les miens, tu auras des cheveux blancs ».(5)

 

« À vrai dire, ni l’un ni l’autre ne sont de grands rénovateurs du genre, explique Yvon Houssais. Mais ils ont donné un caractère très innovant à leurs nouvelles ». Ainsi, Retrouvailles (6) est écrit par Louis Pergaud sous forme de dialogues propres au genre théâtral. De Goupil à Margot, pour lequel il obtient le prix Goncourt en 1910 devant Appolinaire et Colette, donne parole et sentiments aux animaux dont il est un grand observateur. Les histoires sont souvent dramatiques, comme celle de Fuseline, une petite fouine prise au piège dont il raconte le calvaire. «… un beau soir elle reparut amaigrie, les yeux brillants et douloureux, l’épaule pendante, lamentable, telle une estropiée qui présente son moignon pour apitoyer les choses et demander une aumône à la vie ».(7) (*)

 

Marcel Aymé fond le merveilleux à la réalité avec une aisance remarquable. Le mélange des genres est la toile de fond de nombre de ses ouvrages. Il donne lieu à de savoureux échanges, comme le dialogue entre Udine la fée et un gendarme à la rigueur toute cartésienne, lui demandant son identité. « Vous vous appelez Udine quoi ? – Udine tout court, je n’ai pas de prénom. Pour nous autres fées, qui sommes sans famille, le prénom n’a pas d’utilité. – Il faut avoir un prénom, dit le gendarme, c’est obligatoire et prévu par la loi ».(3)

 

Louis Pergaud et Marcel Aymé sont, eux, de grands noms de la littérature française. Leur lecture est réjouissante, et l’enthousiasme que leurs œuvres ont soulevé durant toute la moitié du XXe siècle mérite d’être ranimé…

 

 

(*) Nyctalette la taupe, Fuseline la fouine et Margot la pie font l’objet d’un article signé Nicole Grépat dans la Revue des sciences humaines à paraître début 2012 (éditeur : Centre Jacques Petit à l’université de Franche-Comté). L’auteur, formatrice à l’IUFM de Franche-Comté et enseignant-chercheur en lettres à l’université de Cergy Pontoise, y explique « la féminité pergaldienne en trois figures » et raconte : « pour Louis Pergaud, l’humain s’est encrypté dans la vie secrète des bêtes, et il projette son propre univers mental à travers ce bestiaire élu ».

 

 

(1) La disparition mystérieuse, De Goupil à Margot, Louis Pergaud, 1910

(2) La tragique aventure de Goupil, De Goupil à Margot, Louis Pergaud, 1910

(3) Au clair de la lune, Le puits aux images, Marcel Aymé, 1932

(4) Le sermon difficile, Les rustiques, Louis Pergaud, 1914

(5) La retraite de Russie, Le puits aux images, Marcel Aymé, 1932

(6) Retrouvailles, Les rustiques, Louis Pergaud, 1910

(7) La fin de Fuseline, De Goupil à Margot, Louis Pergaud, 1910

 

 

Contact : Yvon Houssais

Centre Jacques Petit

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 51 48 18

 

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