Université de Franche-Comté

Chimie et cuisine, la notion du temps partagée

Chimie et cuisine ont en commun de vouloir transformer la matière. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les deux activités partagent aussi les mêmes locaux : c’est à la cuisine que les chimistes trouvent le feu dont ils ont besoin pour mener à bien leurs expériences. Pour les uns comme pour les autres, maîtriser la chaleur, l’ébullition ou l’évaporation signifie prendre conscience du temps, le traduire en durée…

 

Illustration : représentation des expériences de Lavoisier sur la respiration où l’on voit l’usage d’une montre pour mesurer le pouls – Image d’archive, Wellcome Library, Londres

Au XVIIe siècle, s’il existe des lieux institutionnels où les sciences sont cultivées, les pratiques expérimentales s’opèrent surtout dans les laboratoires privés ou le foyer domestique. Les adeptes de la chimie pratique comme les savants qui donneront naissance à la chimie moderne prennent ainsi possession des cuisines des maisons bourgeoises pour y mener leurs expériences.
Chimie et cuisine, dans les deux cas il s’agit de transformer des substances, et les analogies sont nombreuses entre les deux activités. Travailler sur les principes de combustion, de distillation ou encore de cristallisation en chimie n’est pas très éloigné des problématiques qui se posent en cuisine. Expériences chimiques et pratiques culinaires nécessitent l’emploi du feu pour chauffer, porter à ébullition, à évaporation, à réduction… Elles nécessitent aussi de réussir à contrôler l’élévation des températures, de maîtriser l’intensité et la durée de chauffe pour parvenir au résultat voulu. Et donc de quantifier le temps.
La mesure du temps, au sens d’appréciation de la durée, est au cœur d’une recherche menée par Gianenrico Bernasconi, professeur titulaire et directeur de recherche en histoire des techniques à l’université de Neuchâtel, et son collègue post-doctorant Marco Storni, historien de la philosophie des sciences.

 

John French, « The Art of Distillation », 1651 – Des recettes de cuisine et de chimie domestique sont notées par Mme Rebecca Tallamy dans les marges (1735-1738). Wellcome Library, Londres

« Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on assiste à la diffusion des instruments de mesure du temps : les garde-temps et les horloges publiques se multiplient, leur exactitude augmente, raconte Gianenrico Bernasconi. Si la mesure du temps est synonyme de coordination, elle permet également d’apprécier la notion de durée : c’est cette dimension que nous pouvons étudier en regardant comment les chimistes et les cuisiniers l’ont intégrée dans leurs activités respectives. »

Les chercheurs s’appuient essentiellement sur les archives manuscrites de fonds documentaires français et anglais. De nombreux livres de recettes domestiques révèlent leur double usage, à la fois au service d’une chimie pratique et de l’activité de cuisine, qui empruntent les mêmes ingrédients à la nature, voire les mêmes ustensiles. « Ces livres étaient la base pour la confection de plats ou de remèdes. Ils circulaient d’une famille à l’autre et s’enrichissaient d’amendements divers. » De tels documents témoignent d’un savoir-faire artisanal, alimenté par des capacités à compter, écrire, mesurer… et utiliser une montre : la gestion du temps était devenu un outil technique au service des procédés et des expériences.
Prévu pour 3 ans, ce projet a obtenu un soutien financier du Fonds national suisse de l’ordre de 450 000 francs suisses.

 

Contact(s) :
Institut d’histoire - Université de Neuchâtel
Gianenrico Bernasconi / Marco Storni
Tél. +41 (0)32 718 16 97
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